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« Je diffuse les voix des personnes minorisées et des personnes non – normatives »

Nazeeha Saeed (Elle), journaliste du Bahrein

Par Haithem Haouel

 

Son parcours atypique se distingue grâce à ses opinions, à ses convictions personnelles et à ses engagements au profit des droits humains sans concession, dont les droits des personnes à genre non - normatif. Nazeeha Saeed est journaliste engagée vivant actuellement en exil… faute de pouvoir exercer en toute liberté et en sécurité dans son propre pays : le Bahrein. Malgré quelques épreuves, elle ne cesse de se frayer son propre chemin, en mettant son travail journalistique au profit des libertés, de l’égalité et des droits les plus élémentaires. Son nom retentit toujours dans le monde arabe : Un monde où la parole libre n’est pas évidente à scander, où libertés et droits humains sont souvent bafouées. Nazeeha Saeed se confie… sans filtres.

1-Nazeeha Saeed, depuis le début de votre carrière, vous prônez les droits Humains, les droits des Femmes et personnes minorisé.es, et vous défendez farouchement la liberté d’expression à travers votre métier de journaliste engagée (y compris pour des causes humaines dites intersectionnelles). Mais qui est Nazeeha Saeed ?

 J’ai grandi dans une famille engagée : Ma mère et mes tantes militent pour les droits des Femmes. Le milieu familial était propice aux réunions, aux échanges autour des droits humains depuis ma plus tendre enfance. Ma famille est engagée politiquement par excellence, ce qui m’a incitée très naturellement à être comme eux.lles. J’ai puisé mes centres d’intérêt, mes convictions et ma profession de ce milieu. En tant que journaliste initialement, j’ai choisi de traiter des thématiques, problématiques et sujets divers à travers le journalisme et les médias. J’ai été sensibilisée, et à l’écoute des femmes et de leurs récits de vie dès mon plus jeune âge. J’ai appris à être à l’écoute de l’autre et à agir. Le journalisme m’a permis de mettre en lumière leurs maux et m’a permis d’en savoir plus sur les enjeux liés à leurs droits, aux problèmes qu’elles doivent surmonter et aux défis à relever. 


2-Pourtant, être journaliste au Bahrein, n’a pas dû être facile à exercer pour vous …

En effet, ce n’est pas le plus beau des métiers à exercer au Bahrein, et précisément après 2011… Quand les autorités ont commencé à empêcher les journalistes de faire leur travail convenablement et à les faire taire, en faisant notamment, mains basses sur les médias existants, et en retirant aussi le permis d’exercer de quelques journalistes … dont je fais partie. 

3-Vous êtes –vous intéressée qu’au Droits des femmes ou avez-vous aussi traitée de sujets en rapports avec d’autres ethnies / communautés sociales ou minorisé.es ?

Pas directement. Je suis devenue journaliste en 1999. En 2000 / 2001, un changement politique a provoqué d’autres changements sur le plan social et de droits humains, toujours au Bahrein. Ces mêmes changements ont permis à des activistes politiques, ou à des défenseu.res des droits Humains de proliférer, avec des organisations, centres et institutions civiques instaurées et spécialisées. En tant que jeune journaliste, à cette époque-là, je traitais de l’actualité et des sujets relatifs à leur travail et aux Droits Humains. Au bout de 3 ou 4 ans d’exercice, on m’a même désigné responsable dans les colonnes d’un journal en me confiant une page consacrée à l’actualité des Droits Humains à gérer. Les droits des Femmes comptaient pour moi, en tant que femme engagée et journaliste issue d’une famille engagée.

4-Vous prônez les droits humains, des femmes et des communautés minorisées, toujours à travers le journalisme. Vous considérez-vous comme « Alliée » ?

 Beaucoup au Bahrein et aux pays du Golfe, et même dans la région MENA et en Afrique du nord me considèrent comme Alliée parce que je ne fais pas de différence : je travaille sans concession avec et sur tout le monde au même pied d’égalité. « Les droits humains sont pour tout le monde » et c’est à partir de ce principe là que j’exerce mon métier de journaliste. 

5-Quelle est votre définition du mot « Alliée » dans l’absolu ?

Le terme « Allié » est profond sur lequel beaucoup bâtissent dessus, espoir et attentes.  En tant que journaliste, je fais mon travail convenablement tout en éveillant les consciences : sensibiliser, informer à travers mon contenu journalistique ou à travers les formations que j’anime. Je suis dans la transmission des connaissances et de mon savoir et chaque Allié.e à mon avis diffère dans sa manière d’opérer ou d’être, selon le travail qu’il fait ou selon sa personne ou son vécu etc. Quand on prône une cause précise, c’est toujours bien d’être en contact avec différent.es allié.es.  Les communautés fragilisées ou minorisées dont la communauté LGBTQI+, me considèrent comme journaliste alliée et pour moi, c’est une fierté.


6-Pouvez-vous nous en dire plus sur le milieu de l’activisme au Bahrein ? Y’a-t-il une différence entre être activiste au Golfe (plus précisément au Bahrein) et l’être en Afrique du Nord ?

La société civile, d’une manière générale, dans la région MENA, a été longtemps scellée par les colons en premier, ensuite par différents régimes autoritaires. Ces derniers ont longtemps fait en sorte de réduire l’impact de la société civile voire de la faire disparaître. Par conséquent, cela donne de la place à des personnes qui travaillent dans la société civile mais qui ne défendent pas les droits des personnes miniorisé.es dont la communauté LGBGTQI+ ou d’autres qui travaillent dans des organismes pour la défense des droits des femmes et qui sont contre l’avortement ou l’égalité dans l’héritage etc etc … Ce qui constitue une société civile qui omet les groupes minorisés menant à un travail lacunaire. Les activistes intègres, sensibilisé.es et qui font des Droits Humains le fondement de tous leurs combats, se heurtent à un système politique autoritaire et dictatorial, qui les empêche d’agir ou d’impacter convenablement. Les pays du Golfe ne sont pas avancés en matière des Droits Humains, en comparaison à l’Afrique du nord. L’Afrique du nord qui, à mon avis, était précurseure, davantage, grâce à ses activistes, ses sociétés civiles, leurs histoires relatives à la colonisation et je dirai même que la Tunisie est la plus avancée en matière des Droits Humains. Malgré les difficultés et les nouveaux défis, la conscience collective existante et les acquis de la Tunisie sont de loin les plus avancées dans le monde Arabe, incontestablement. 

7-En tant que journaliste engagée, vous arrive –t-il de vous sentir menacée après avoir effectué votre travail ?

Quand je traite d’un sujet précis, par exemple, sur les personnes appartenant à un genre / une sexualité non – normative ou que je traite d’axes qui sont tabous, on titille de larges franges sociales dont les systèmes politiques et religieux se sont efforcés d’ignorer et de fermer leurs perceptions. Nos combats sont menés sur le plan juridique, sur le plan social, sur le plan des mentalités. Les sujets relatifs aux migrants, aux personnes de la communauté LGBTQI+ ou mêmes ceux qui concernent les femmes peuvent fâcher … et avec la montée de la droite, c’est encore pire. On est inévitablement confronté à un système politique / juridique et à la société en traitant de ses sujets. Personnellement, j’essaie de faire mon travail journalistique en étant sur mes gardes, en gardant mes distances et on a beau être prudent et professionnel, rien ne peut nous éviter une attaque haineuse, surtout en ligne ou sur les réseaux sociaux. Souvent, on est pris pour cible par des religieux quand on traite de sujets relatifs aux corps, à la sexualité, au genre. Des « Haters » qui n’hésitent pas à nous taxer de « sionistes », de « collabo » ou de tous les noms. 

8- A quelle moment avez- vous interrogé vos privilèges et les avez- vous mis au profit de votre travail engagé ?

Nos privilèges, on ne les conscientisent pas du jour au lendemain… Cela s’acquit sur la durée et émane de ma propre personne. Après 2011 et les révolutions arabes, il y’a eu un éveil des consciences, surtout avec l’émergence d’internet. Activistes et journalistes sont ouvert.es sur le monde : ils s’entrechoquent, se croisent et bouillonnent. Mon arrestation, mon incarcération et le choc ressenti après cette épreuve m’ont beaucoup affectée et m’ont, en même temps, endurcit. Il faut protéger les droits de toutes les personnes à part égale, protéger leurs droits les plus élémentaires. Mes privilèges ne m’ont pas empêché d’être arrêtée, et de m’exiler… Surement qu’elles ne servaient pas à grand-chose dans mon pays. Des privilèges, sûrement que j’en ai par rapport à certains, beaucoup moins par rapport à d’autres. Autant d’épreuves m’ont davantage poussé à m’engager, à faire des formations, à transmettre combats, savoir et connaissances… à devenir tenace davantage. D’où mon intérêt, entre autres, pour les sujets relatifs aux personnes minorisées. 

9-Vous êtes en ce moment même en exil. Vous continuez à opérer en étant loin de votre pays. Votre travail est-il toujours aussi impactant ? Ou y’a-t-il eu changements ?

Mon exil est dû au fait qu’on m’ait retiré mon permis de travail d’où la raison principale de mon départ. Vivre à l’étranger me permet d’exercer toujours, d’éviter de subir une quelconque pression. Je diffuse les voix des personnes minorisées, des gens qui expriment leurs opinions, des femmes, de tout le monde. Dans mon pays, j’ai été tout le temps menacée d’être arrêtée, d’être persécutée… Et j’ai entamé ce parcours, je m’y suis engagée et je tiens bon à le mener de bout en bout …toujours. Mes pensées vont à ma famille, qui reste au pays. Cet exil m’a permis de continuer à travailler en sécurité. Vivre et travailler ainsi actuellement m’arrange : J’ai la paix et c’est important pour moi. 

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