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Une quête de soi

Rencontre avec « Leil », non binaire (Il / Elle), écrivain indépendant

Par Haithem Haouel

On ne nait pas soi, on le devient ! ou on s’obstine à le devenir. En aspirant à une vie communautaire plus juste et à force d’avoir brandi tôt l’étendard des libertés individuelles, « Leil » se heurte très tôt aux aléas d’une existence agitée, souvent hostile mais qui continue d’être pleinement vécue. Des combats, l’esquive et une perpétuelle recherche de paix et de réconciliation (dé)font son parcours.

S’embrasser soi – même

Ses confidences nous tombent dans l’oreille ! Accueillant, « Leil » se livrent à nous sans concession et fini par nous embarquer très rapidement dans une fuite en avant… existentielle. A l’écouter, c’est comme – ci, depuis sa naissance, les interrogations n’ont cessé de foisonner.

 Tout commence à « Tétouan » au Maroc : « Leil », est fils unique, issu de parents fonctionnaires. Il grandit dans une société maghrébine, régie par ses codes, son patriarcat pesant, son conformisme abrutissant : l’enfant qu’il est se pose déjà des questions élémentaires… bien trop tôt. Petit, il s’embourbe déjà dans des remises en question permanentes, liées à la sexualité, au rapport au corps, à l’apparence. Une enfance vague… annonciatrice d’une existence adulte, plus houleuse.

Pour lui, la frontière entre les genres est encore insaisissable. Masculin / féminin, homme ou femme … Les questionnements se bousculent, en pleine période pubère, débordante de changements physiologiques et émotionnels. Un ressenti parfois désagréable, souvent flou plane et va de pair avec prises et pertes de poids, rétrécissement des vêtements, ou rejet de son apparence. 

 

« C’était une période délicate durant laquelle je me cachais et je ne m’assumais pas … jusqu’à l’étape ou être « un garçon », où se sentir masculin avec tous ses attributs m’attirait de plus en plus, voire m’amusait. Porter une cravate, et quelques vêtements larges de mon père, jouer un rôle, me stimulait et brisait doucement et surement la glace autour de mon identité de genre ». Nous confie béatement « Leil ».

« Leil » est ce pré-adolescent introverti…  Il n’arrive pas encore à cultiver sa différence et ce, jusqu’à la compréhension progressive mais certaine de son être. Sa découverte de soi est précoce : Tâtonner le corps de l’autre se faisait au fur à mesure des gestes furtifs. Le tactile avec des personnes du même sexe mute en flirt et cristallise ses émois physiques, émotionnels, sexuels… et ce depuis l’âge de 7 ans. Ce balbutiement est l’aboutissement d’une transition vers l’âge adulte, annonciatrice de péripéties diverses.

L’affranchissement

Se découvrir soi-même n’a pas empêché « Leil », une fois le baccalauréat en poche, de mener des études universitaires en lettres anglaises puis, bien plus tard, en journalisme … qu’il n’a pas exercé. L’université facilite le détachement d’avec la famille, met de la distance avec les parents et l’environnement dans lequel il a grandi. Rien de plus anormal… Sortir de « Tetouan », c’est entretenir son indépendance, partir à la rencontre de personnes qui lui ressemblent et enchainer les relations amicales, amoureuses, aussi profondes ou fortuites, soient-elles.  Une vie estudiantine presque ordinaire qui se confond aussitôt avec le militantisme LGBTQI+, ses membres et ses activités, souvent menées dans l’ombre. « En 2008, j’ai été happé par la vie associative en intégrant une association féministe via une rencontre : cette dernière m’a initié au bénévolat, m’a appris l’esprit d’équipe, et m’a fait découvrir l’évènementiel engagé. Une intégration en douce mais certaine, qui m’a mené au militantisme pur et dur sur le point d’éminemment prendre forme : ce n’était qu’une question de temps». Nous confie « Leil » en évoquant la création du collectif Aswat contre la discrimination basée sur le genre et la sexualité ou plus couramment appelé, le collectif Aswat ».

Créer en 2013 avec d’autres activistes, « le collectif Aswat » fait bousculer les paramètres de son existence : elle fera écho à l’échelle collective et communautaire mais également individuelle. Il commente «Cette étape était cruciale : elle a changé ma vie et j’en garde de bons souvenirs… Malgré tout ». Cite-t-il apaisé. « Aswat» défend farouchement les droits des personnes Queer / LGBTQI+. Le collectif lui permet d’intégrer pleinement la communauté… de découvrir, ses aléas et ses revers. Il déclare : « Le collectif a répondu à mes interrogations, m’a fait réfléchir, m’a forgé, m’a permis plus facilement de me remettre en question et d’affiner mon existence communautaire… Avec les activistes, il y’a eu de nombreux moments d’échanges, nous étions complémentaires, uni.es, solidaires et intimes. Les récits de vie se croisaient, les profils et les parcours de vie fusionnaient, se multipliaient… et de nombreuses batailles devenaient intersectionnelles et n’attendent qu’à être menées ». Raconte-t-il nostalgique.  

Une effervescente vie en collectivité

8 membres actif.ves et engagé.es forment désormais « Le collectif Aswat». Ce noyau s’élargit jusqu’à atteindre une quinzaine de personnes. L’engagement irradie l’existence communautaire, déjà vécue et menée au Maroc, sous silence, en secret…  Leur travail fait sens, et leurs activités aussi : « Aswat » prenait sous son aile de nombreuses personnes LGBTQI+ malgré le manque de moyens. Les membres font du terrain, parviennent à fournir une assistance sociale et juridique et se focalisent également sur les arrestations. Le bras de fer avec les autorités se fait de plus en plus ressentir…  Le collectif nourrit le personnel et l’enrichit. Les membres s’affirment au gré des activités de groupes et de leur vécu. Le mouvement alternatif qui se faisait déjà autour des libertés individuelles est boosté par l’existence de ce noyau qui axe davantage son combat vers les libertés sexuelles. Ce militantisme se rapproche désormais du politique, du juridique et confronte la communauté à son contexte réel. Il est en effet à rappeler que le texte de loi marocain criminalise les relations homosexuelle : l’article 489 du code pénal du Maroc criminalise « les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe ». L’homosexualité est illégale au Maroc, elle est punissable de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 120 à 1 200 dirhams. 

Seulement, « Aswat » bouleverse également la vie personnelle de « Leil ». Il explique : « Je suis assigné « femme » et mon changement physique ne passait pas inaperçu. Essuyer harcèlement, agressions et remarques désobligeantes sur mon apparence est intrinsèque à mon existence. Depuis longtemps, je vis sur la défensive. « Aswat » a remédié à cette violence. Elle m’a protégé et m’a permis de me réconcilier davantage avec moi-même. Faire face à la violence sociale en groupe est bien plus supportable. Le collectif était devenu ma famille, un bouclier de protection. On faisait face aux discriminations, à l’oppression et à l’injustice en groupe, en se créant des mécanismes de défense». Outre son identité Queer, « Leil » est assigné-femme à la naissance : la discrimination se faisait et se fait toujours sentir à plusieurs niveaux. Être avec « Aswat » l’a protégé symboliquement. Il cite : « Je ne me sens plus obligé d’affronter la société tout seul ». Ce refuge qu’est le collectif favorise donc, l’affirmation de soi… et perturbe ses rapports avec ses parents, spécialement, avec sa mère. Résigné, « Leil » revient sur ces faits : « Ma relation avec mes parents était déjà distante. Ils avaient du mal à m’accepter comme je suis. A une certaine période, J’ai fait mon « Coming out ». Le choc de ma mère cède la place à un déni total. Pour elle, l’acceptation était impossible ». Une rupture de contact a d’ailleurs longtemps perduré après cette annonce. Afin de bien surmonter cette épreuve, le collectif s’est substitué à sa famille d’origine… du moins, avant sa dissolution lente mais certaine.

Le début de la fin

En 2014, le collectif a pu gagner en visibilité malgré la pression et le danger ambiant. « Aswat » a célébré la journée internationale contre la Transphobie, avec l’appui de l’ambassade des Pays-Bas. Les luttes n’ont cessé, ensuite, de prendre de l’ampleur, jusqu’à s’élargir à l’intérieur du Maroc et au-delà des frontières. 

Le passage d’ « Aswat » à Tunis, à l’occasion du « Forum Sociale mondial » (FSM) habite encore « Leil ». Il s’en remémore, sourire au coin. « Nous avons pu participer au forum social mondial de Tunis (2015). J’ai été invité par Ali Bousselmi (Président / fondateur de Mawjoudin – We exist). Ma participation à cet évènement important était le fruit d’une collaboration collective avec plusieurs organisations au Maroc et en Tunisie, participantes. Lors de cet évènement mondial, on a installé un stand au campus d’El Manar, pour présenter « Aswat » au public présent. Une activité qui s’est terminée par une altercation avec des gens de la gauche tunisienne, très homophobes. Cela ne nous a pas empêché de brandir le drapeau LGBTQI+ pour la première fois dans la rue durant la marche des droits humains. Une première ! C’était un beau geste. Mémorable et symbolique.

Plus le collectif gagnait en visibilité à travers ses actions, davantage l’hostilité et la violence se faisaient sentir et impactaient en mal les membres… qui ont commencé à se désolidariser. « Aswat» se faisait intimider par les autorités et subissait arrestations et harcèlement, basé sur l’identité du genre. L’oppression étranglait de plus en plus le collectif quand il rencontrait des journalistes -notamment étrangers- qui venaient couvrir leurs activités. Les familles ou les parents des membres se faisaient contacter par la police pour dénoncer leurs actions. Le danger guettait de plus en plus… 

L’ambiance s’alourdissait, les inimitiés naissaient au sein même du noyau, qui s’est vu s’épuiser.  Une dynamique différente a commencé à s’installer et les rapports ont commencé à s’effriter. Les départs vers d’autres cieux n’ont pas tardé : Au moins deux membres ont demandé l’Asile. L’épuisement psychique battait son plein et la fin d’un rêve commun se profilait à l’horizon. « Leil », quant à lui est désormais à un carrefour décisif de sa vie.  

Le partir … ou la mort

Fragilisé mentalement et vulnérable, cette volonté de partir chez « Leil » devient de plus en plus pressante. La dépression chronique faisait rage, les idées suicidaires lui traversaient l’esprit. L’alchimie autrefois présente grâce à « Aswat » s’est dissipée. C’est comme si toute une existence se disloquait au pays natal… Il fallait partir et trouver rapidement un point de chute. La destination qui lui vient en tête en premier ? C’est bien le Pays-Bas. Il précise : « J’avais déjà mon visa. Je venais de rentrer d’une Gay Pride et le collectif a déjà collaboré avec l’ambassade auparavant. Mon départ déchirant et difficile est planifié : au moment opportun, je l’ai annoncé aux amis proches, en précisant d’emblée, que j’allais demander l’asile une fois là-bas. En revanche, j’ai dit à ma famille que j’y allais pour une période. J’arrive un weekend chez ma meilleure amie, une ancienne d’Aswat, qui m’attendait de l’autre côté. Un lundi matin, je décide de me présenter à un centre de demandeurs d’asile ou « camp».

Une page se tourne, une nouvelle est entamée… Nous sommes en avril 2017.

Faute de repère, ou mal orienté, « Leil » se goure d’adresse avant de finalement arriver à destination. Le centre des demandeur.es d’Asile se situe loin de la cité ou de la cacophonie urbaine, sur la frontière allemande… Son existence même n’était pas connue. « Je n’avais sur moi que 300 euros. Pouvoir intégrer le camp urgeait. Une fois sur place, je m’adresse donc à un flic, qui me file une fiche de renseignements à remplir. Froideur, placidité, rigueur, manque d’empathie caractérisaient le comportement général des agents. Une queue monstrueuse se tenait devant l’asile. ». Décrit –il. 

« Leil » se remémore de cette arrivée et de son ressenti.  Sidération ! Choc à la vue de ces nombreux réfugié.es / Demandeur.es d’asile qui affluaient de toute part. Une présence policière lourde était constamment présente. Le temps d’attente s’étirait sur des heures et des heures dans une salle pleine. Le vertige de l’inconnu et la crainte planent : « C’était ces images qui m’avaient marqué le plus à mon arrivée. Viens ensuite mon tour ! Je me sentais comme criblé de questions détaillées, pris en photo tel un criminel. On te relève ensuite les empreintes. Le traitement des policiers était neutre, dur, froid, machinale. Puis commence l’investigation policière détaillée qui servira pour la création d’un dossier qui justifiera la fuite, la demande d’asile. Un dossier qui résume le vécu, avec des preuves qui attestent de notre activisme. Toute invitation, document, certificat, photos, pièces est demandée. Un traducteur était présent : chaque mot comptait. Une tierce organisation veille au bon déroulement de la procédure ». S’en rappelle amèrement l’activiste. Les rendez-vous avec les avocats, les entretiens ponctuent désormais son temps d’attente dans ce « Camp ».  Le calvaire se poursuit mais cette fois –ci, dans de nouveaux décors.

« Leil » est placé dans une chambre, qu’il a exigée. Le risque de tomber sur des personnes Queerphobes ou transphobes est élevé. Il n’a d’ailleurs pas été épargné : Dans l’enceinte du camp, un individu n’a cessé de le harceler. Pour brouiller les pistes, place à la discrétion. La pression était permanente et la solitude et l’isolement étaient suffocants. C’est d’ailleurs ce qu’il retiendra de cette « station d’arrêt ». « On pouvait sortir en ville, mais il fallait faire des kilomètres à pied pour l’atteindre. Plus de 45 min de marche ! Une route faisable à vélo. On avait droit à des per diems, des repas. Nos besoins les plus élémentaires ont toujours été accessibles : A savoir un toit, l’hygiène et de la nourriture mais je vivais personnellement dépendant et en autosuffisance. »  

Le centre d’asile ressemble à une salle d’attente géante. Des gens décideront du sort de « Leil » et d’autres… quand ils le jugeront nécessaires. « Ils nous choisiront une vie, ils trouveront où nous placer, et nous filerons une carte qui nous ai spécifique ». Précise – t-il. 

Pendant ce temps d’arrêt au centre, « Leil » se créé de amitiés avec des personnes Queer dont une personne Trans de la Malaisie, et un Gay de la Somalie. Des liens qui adoucissent périodiquement la lourdeur du quotidien, avant de les perdre de vue. Les demandeur.es et réfugié.es changent en effet constamment de studios où loger… L’étape critique a finalement pris fin au bout de 6 mois. D’autres peuvent vivre cette incertitude durant des années. Une lueur au bout du tunnel luisait enfin …

Une intégration pas si simple

« Leil » obtient sa carte de réfugié et parvient à louer à bas prix… très loin du « Camp ». Il bénéficie d’une petite somme d’argent qui lui permet de subvenir à ses besoins et se fait traiter par une thérapeute. Cette dernière lui dresse un diagnostic de PTSD, entrainant une dépression majeure et une forme d’anxiété sociale, l’empêchant par la suite de décrocher un emploi. Il se met donc à écrire, en ayant la conviction de nos jours, qu’écrire est déjà en soi une forme de militantisme. Il tisse aussitôt des liens avec des personnes Queer et formeront ensemble, très vite un autre collectif Queer au Pays – Bas.

 Se tourner vers ses passions, et stimuler sa fibre artistique compte aussi pour lui. Apprendre la langue locale, donner pour le pays hôte, avoir un bon statut font partie des étapes à faire pour bien s’intégrer. « Leil » tient à avoir son passeport pour pouvoir revenir au Maroc. La distance le ronge. Sa terre lui manque. Son père décède et n’a pu assister à ses obsèques… L’épreuve de trop ! Plus de 5 ans sont passés et « Leil » a envie de revenir. L’heure est à la réconciliation, avec soi-même, et sa patrie d’origine.Avec du recul, et après tant de déchirement, la notion du militantisme change pour lui. Il déclare : « Avant on s’oubliait nous-même en militant. Actuellement, je me focalise plus sur moi-même. Je ne m’ignore pas et je militerai autrement mais s’occuper de soi reste primordial.  Au Maghreb, c’est toujours très complexe de militer. Il faut que le contexte change, que ça devienne moins dangereux de de faire de la résistance là-bas. ». En guise de clôture, « Leil » épingle, au passage, l’usage de l’appellation « réfugié » et opterait plus pour « Nomade ».

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