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Récit d’une errance

Ward * : She / He / They - Non Binaire :

Par Haithem Haouel

Son récit rime avec recherche constante d’une existence digne et d’un semblant de paix. Du haut de ses 27 piges, le jeune Ward dessine un large sourire en commentant rétrospectivement sa perpétuelle suite en avant … pour se préserver. De Tripoli à Tunis, l’esquive puis l’attente.

Après écoute de son périple, il nous laissera l’entière liberté de le présenter, car notre interlocuteur, traite avec des pincettes de quelques termes véhiculés comme « Réfugié », « demandeur d’asile », ou même activiste. « Ward » est son vrai prénom, qu’il a choisi de mettre en avant afin d’éclipser un autre plus courant, à connotation musulmane, attribué par sa famille. 

Pour lui, valoriser un prénom plus qu’un autre est une manière de faire face aux changements d’envergure… qui s’apprêtent à s’abattre. Et s’il a choisi « Ward », c’est entre –autres, pour aller de l’avant, et laisser son vécu en Libye, sa terre natale… derrière lui. 

Son éveil se confond tôt avec sa découverte de soi, de son corps, de son genre, de sa sexualité. Alimenté par la curiosité, Ward pioche dans un contexte social hostile, dangereux et réussi à mener une double – vie bien garnie en plein Tripoli. Une existence dissimulée, solitaire, menée avec méfiance… jusqu’à ce qu’à la rupture progressive et certaine de ce calme précaire.

Au commencement, les découvertes …

Enfant, il a grandi avec des parents aimants. C’est davantage avec la grande famille et plus précisément avec les oncles que les relations se sont longtemps entrechoquées. « Nous vivons toutes et tous dans un quartier qui rassemble toute la grande famille. La proximité était inévitable, les médisances aussi. Mon apparence faisait jaser, mon identité du genre ou mon côté dit « Fin » interpelait, mais curieusement, cet aspect de ma personnalité est accepté par mes parents, conservateurs, certes, mais qui s’effaçaient quand il s’agit des « qu’en dira t’en». Se remémore-t-il. Survivre ou développer des mécanismes de défense s’apprend en famille… avant de les appliquer dans une société encore plus large et dangereuse. 

Ward se découvre sexuellement très tôt, et l’a toujours gardé pour lui. A 16 ans, il accumule les rencontres, les béguins et les relations fortuites sans pour autant perdre de vue ses études : Il opte pour les sciences naturelles, la musique ensuite, la philosophie et s’est accroché tant bien que mal afin de poursuivre ses études dans un contexte Libyen des plus instables, à cause de la révolution, et de la guerre civile. 

La communauté Queer en Libye ressemble à d’autres, qui bouillonnent en cachette au Moyen – Orient, en Afrique du nord ou ailleurs : Cette vie Queer se vit davantage de nuit. Ses membres possèdent leurs adresses, leurs applications de rencontres, et tout se fait à l’abri des regards, dans l’ombre. « Tout se vivait sous silence avant la révolution. Il est indéniable qu’actuellement, les langues sont déliées davantage et Internet a créé le changement. La vie Queer n’est pas organisée, structurée, là-bas mais elle existe et pas qu’un peu… elle couve sous le conservatisme ambiant et très pesant de la société». Déduit Ward en évoquant « le Guejmi », en citant d’autres appellations rabaissantes, spécifiques aux « Bouftat » (Terme vulgaire attribué aux Gays / Queer), et en rappelle un autre, les « Chekchaka » qui fait référence au côté Bling Bling que peuvent avoir les personnes Queer.

 Une vie communautaire sans cesse en effervescence, que Ward ne tient pas à intégrer. Solitaire, et peu sociable, il se contente d’avoir très peu d’ami.es avec qui partager les mêmes centres d’intérêt et ne pas cesser d’enchainer … les idylles et les flirts. « Adopter des codes de groupe, faire son Coming out… Je n’ai pas à m’efforcer de faire tout cela». Souligne-t-il. Autant donc se contenter de se frayer sa propre existence… sur le point de lui échapper.

Tout se vivait sous silence avant la révolution. Il est indéniable qu’actuellement, les langues sont déliées davantage et Internet a créé le changement. La vie Queer n’est pas organisée, structurée, là-bas mais elle existe et pas qu’un peu… elle couve sous le conservatisme ambiant et très pesant de la société



Rencontres et conséquences

Ward dérobe de l’argent pour la filer à son premier amour et au gré des rencontres tumultueuses, il s’entiche d’un jeune homme de 15 ans son ainé. Ils se rapprochent, se fréquentent et s’attirent l’attention d’un voisin « Dealer », qui s’empresse de raconter des commérages à la famille. Il raconte : « Ce voisin « Dealer » est allé raconter à tort qu’il m’avait vu embrasser un homme dans la voiture : Chose que je n’oserai jamais faire. Un oncle s’en ai pris à moi avec une arme à feu « pour sauver l’honneur de la famille », et éradiquer cette tare qu’est l’homosexualité ! disait-il ». 

Des faits qui le marquent et deviennent annonciateurs d’une fuite imminente. Impossible pour lui de continuer à vivre dans un environnement aussi agressif, répressif. Ses parents n’interviennent pas au moment des violences et ses relations avec l’un de ses deux frères commencent à s’envenimer. Il quitte le foyer momentanément et revient ensuite, sous l’insistance de sa maman désemparée, et épuisée mentalement. L’accumulation des frasques, des incidents et la violence qui s’accrue de semaine en semaine, l’ont poussé à partir … Sa présence dérange et attise la tension. 

Mais une énième rencontre a eu raison de son départ définitif…  

« En septembre 2019, j’ai connu un jeune homme sur facebook. On s’est lié d’amitié au départ … puis on s’était rapprochés. La personne s’est avérée au fil du temps, extrêmement possessive, maladivement jalouse, très violente. Il devenait insistant, envoyait des « Nudes » à répétition… Il m’envahit jusqu’à l’étouffement. La situation s’est aggravée quand il s’est mis à me harceler, en menaçant de me « Outé » auprès de ma famille, de mes parents, de tout le monde. Il voulait que je me soumette de force ou sinon il me divulgue et me tuera. Un psychopathe en furie ! ». Se rappelle Ward. Ses menaces deviennent alarmantes, au point où il s’empresse d’envoyer un mail de détresse à un organisme international qui l’assistera à distance. L’éventualité de son départ du pays se précise, et devient même nécessaire. C’est une question de survie !

 Après d’interminables recherches peu fructueuses auprès d’Organismes internationaux qui n’arrivent pas à le prendre en charge, c’est finalement l’I.N en Tunisie, qui l’accueille. Le temps de dire au revoir précipitamment à sa famille de ramasser, très peu de vêtements et affaires, d’avoir pu obtenir 60dt tunisien en poche et de décoller … pour atterrir finalement à l’aéroport de Tunis – Carthage le 10 janvier 2020, soit 2 mois avant la pandémie du COVID19. Le calvaire prend d’autres formes sous d’autres cieux ! 

Le partir et l’attente

Une page se tourne et permet à une autre de relater un nouveau chapitre tout aussi houleux de la courte vie de Ward, qui débarque dans un pays voisin, la Tunisie … sans intention aucune de demander l’asile. « Je ne savais rien du statut d’un « demandeur.e d’Asile » ou d’un « réfugié.e », quand j’ai pris l’avion pour la Tunisie… Dans ma tête, il fallait juste que je parte ailleurs ! ». Commente-il, l’air légèrement ironique.

 Ignorant presque tout du pays hôte : Comment y circuler, ses textes de loi… etc Il y erre en tentant de se protéger instinctivement… L’I.N arrange son arrivée et le place dans un studio à la Marsa. Une psychologue, de l’argent, le loyer sont promises pendant une période… Une impression positive a surgi aux premiers abords, et paraissait idyllique au dit « plus émancipé des pays Arabe : la Tunisie ». Du moins, c’est l’idée qu’il se faisait de son pays d’accueil. 

Ward se fait discret, évite de nouer des liens sur place, et tente de se trouver un semblant d’équilibre … en vain. Il se présente au bureau une semaine après son arrivée, ne reçoit pas son argent la première fois, puis deux fonctionnaires l’appellent et chapeautent de loin… Mais très vite, le désenchantement s’installe : «Les services et les transactions d’argent se faisaient sans traçage, d’une manière nonchalante, il m’arrivait de faire la banlieue nord / Centre-ville de Tunis à pieds, faute de moyens… Je ne reçois pas mon dû en entier, après m’avoir laissé poireauter longtemps…Très vite, j’ai compris que cet Organisme hôte tirait profil de la situation et faisait l’intermédiaire : Il m’a semblé qu’il touchait des fonds de la part d’un bailleur mondial important pour prendre en charge de potentiel.les demandeur.es d’Asile, en danger de morts, et se mettait en poche un pourcentage sur la somme générale proposée sur chaque victime trouvée ou contactée. C’était comme un commerce de demandeur.es d’Asile organisé. Des agissements que j’ai signalé à cet important bailleur, mais je n’ai eu aucun retour »… Relate-t-il avec beaucoup de lucidité. « Ce qui est abjecte c’est le comportement, leur manière de faire douteuse… bien plus que l’argent ou les services qui manquaient ! ».  Ward pense porter plainte, mais il fallait le faire de l’étranger. Il a pensé divulguer le tout dans un article en ligne… Très vite, il saura qu’il était « cas pilote », ou « Rat de laboratoire ». 

 Face à l’urgence de la situation, aux agissements crapuleux et faute de réactivité, Il faut se débrouiller avec les moyens de bords et s’adapter… Comble du malheur, le confinement général s’abat sur le monde à cause du COVID19 … tout ferme, les déplacements sont très réduits, et la prise en charge de Ward est compromise.

L’Etau se resserre …

« Sur les trois mois de prise en charge, un mois supplémentaire m’a été offert à cause de la situation sanitaire, ensuite, il fallait me trouver un autre toit. La période devenait de plus en plus critique. Heureusement qu’un compagnon de route me soutenait à cette époque-là : il était venu à la rescousse, me tenait compagnie et était souvent présent surtout durant toutes mes altercations. Et il y’en avait une dont je me souviendrai longtemps : Ma prise de tête avec la CEO de l’I.N qui avait tentée de me liquider des locaux avec un ton des plus hautains et agressifs. Je décide, après cela, de m’adresser à des avocats, et de couper le contact avec le staff de l’organisme». Se rappelle-t-il. 

Quelle est donc l’alternative en ce temps de crise ?

 Préférant le saut dans le vide, au lieu de continuer à subir, Ward prend contact avec une tante et ses deux cousines et restent toutes et tous à Cité El Ghazela pendant une période. Il partage les charges avec elles et déguerpit aussitôt, suite à un grave différend… L’option ultime qui s’offrait à lui désormais c’était de devenir « demandeur d’Asile » et d’obtenir sa carte de réfugier… Direction, donc, le centre des demandeur.es d’Asile à Bhar Lazreg, et ce, malgré toutes les dissuasions reçues…  C’était en février 2021.  

Imaginé en amont, comme un refuge aux commodités de base existantes, il se heurte aussitôt à la réalité difficile. « On me disait que le « Shelter », n’était pas pour moi et que je ne me sentirai pas « Safe » ou bien. On m’avait prévenu… De mon côté, je le concevais comme un toit légal, une étape périodique que je devais valider pour pouvoir obtenir l’asile légalement et surtout, ma carte de réfugié qui m’offre, un accès au soin et aux études. Je me devais de construire un statut légal en Tunisie ! ». Commente –t-il, sourire jaune esquissé.

 Le refuge est un immeuble d’environ 4 appartements avec S+3 / 4. Au moins 8 à 12 personnes y résident par appartement. L’encombrement, les « Roomates », qui manquent souvent d’hygiène, avec qui il ne s’entend pas, lui rendent le quotidien difficile. Le « Shelter » rassemble plusieurs cultures, essentiellement subsahariennes. Ward ne passait pas inaperçu… La situation des demandeur.es sur place était bien plus tragique qu’il ne l’attendait. Les profils souvent violents, instables. Ward rase les murs et se fait discret dans un refuge très précaire. 

Cette attitude ne l’avait pas préservé d’harceleurs et des dangers : Une personne – trans libyenne et un autre ancien militaire libyen lui ont causé du tort, un mauritanien « Sex-worker » et un soudanais lui mènent la vie dure… L’endroit manquait cruellement d’hygiène, n’était consacré qu’au Subsaharien.nes, et à une minorité de libyen.nes. Les femmes demandeure.s sont placées un peu plus loin. 

L’étouffement arrive à son paroxysme et le pousse à partir … après deux ans cloitré dans cet édifice, situé dans un quartier très peu « Safe ». Un « Shelter » qu’il quitte depuis récemment, une fois sa carte de réfugié de la part de l’U.N obtenue. 

« Les gens qui travaillent dans ce type d’organismes sont déconnectés du terrain et ne connaissent pas ses conditions…  Les psychologues qu’ils mettent à notre disposition n’ont pas les outils ou les connaissances nécessaires pour prendre en charge convenablement les personnes issues de la communauté LGBTQI+ / Queer. Dans mon cas, j’ai fui la Libye parce que j’étais persécuté sur la base de mon genre / De mon orientation sexuelles… ». Constate Ward, soulagé d’avoir pu contourner une énième épreuve.

Le temps d’attente pour un avenir plus apaisant devient de plus en plus lassant… interminable. Plus que 3 ans déjà qu’il est en Tunisie. Mais après ? Une infinité d’entretiens intrusifs et peu fructueux s’enchainent, et l’impossibilité de choisir son pays hôte, quelque part en occident, se précise. Son sort futur ne dépend pas de lui, mais des pays occidentaux qui demandent un nombre réduit de demandeur.es d’Asile : ils les choisissent au Pif après une infinité de procédures. Il compte désormais contacter les autorités, ou les ambassades afin d’accélérer la procédure de son départ.  

 Entre temps, Ward est toujours en Tunisie, roule sa bosse en tant que graphique Designer en freelance, s’adonne à l’écriture, et entretient quelques liens avec des personnes de la communauté en Tunisie, qu’il a connu notamment grâce à « Mawjoudin – We exist », ne préférant garder toujours que très peu de personnes autour de lui et en évitant de beaucoup sortir. 

Il est content de son autonomie acquise, « post-Shelter » et termine sur une note douce – amère : « Tout cela mérite d’être vécu… malgré tout, pas de retour en arrière. Mais il faut être endurant et résistant pour pouvoir vivre autant de péripéties. Je reste quand même sceptique et très inquiet concernant le sort des demandeur.es d’Asile, qui reste si précaire, et qui peut empirer à tout moment … Surtout après les déclarations caduques, et choquantes de la Présidence sur le sort des Subsahariens. J’ai peur que l’Etat s’en prenne aux demandeur.es d’Asile, une peur minime mais existante. On ne peut être sûr de rien… ». Cite –il confiant. Une vision floue du futur planent ! Ward ben Mansur Conclut, résigné : « Je ne suis qu’un chiffre parmi tant d’autres… en attente ».

1 réflexion sur “Récit d’une errance”

  1. Merci pour ce touchant témoignage. Ward a eu la force de quitter sa famille et son pays… Pour un autre pays qui interdit aussi les relations homosexuelles. En tout cas, je le trouve très courageux.
    Merci aussi à mawjoudin en Tunisie pour leur excellent travail !

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