©Photo: Sasha , ©Design: Boshra Jallali

« Dans la tourmente des artifices »

Sasha (il), 29 ans

par Haithem Haouel

Sasha* a 29 ans et des poussières, un peu plus que le quart d’une vie fructueuse, festive, trépidante, débridée, intense… ponctuée d’Aléas. A l’aube de ses 30 ans, il lève le voile sans filtres sur une existence personnelle Queer, oscillante entre vulnérabilité mentale et paradis artificiels.

C’est en se confiant que se fait le partage d’expériences. C’est en lisant ces lignes, que d’autres peuvent s’y retrouver, s’interroger ou se protéger eux-mêmes. Témoigner fera peut-être écho chez de nombreu.ses personnes Queer (ou pas) : Narrer l’intime peut être une tentative de réconciliation avec soi, un récit de résilience, c’est aussi être en paix avec sa propre personne. « Ne pas être en phase avec soi cède la place à une santé mentale fragile… et en étant né Queer, dans une Tunisie qui bafoue totalement les vies Queer, le droit à la différence, les communautés marginalisées : ceci ne fait que cumuler au fil des années, complexes, fatigue mentale, peur, mal-être. Ce n’est pas directement ma nature Queer qui a accentué mes propres troubles, c’est définitivement ce contexte hostile voire dangereux qui finit peu à peu par nous broyer». Commente-il ainsi le contexte dans lequel il (sur)vit.      

Bouillonnement

L’émergence de cette vie Queer classique semée de rencontres, faites au hasard, en ligne ou en vrai fut ordinaire. Pour Sasha*, c’est en quittant le lycée, le foyer familial, la zone de confort initiale, la région d’origine, que s’accomplir naturellement a commencé.  «Au fur à mesure, on se crée notre monde à nous, une bulle. Vers 17 ou 18 ans, une sorte « d’existence parallèle » commence à se mettre en place ». Cite-il.  Les amours et les amitiés, le social et la fête façonnent déjà cette courte existence, qui se confond par la suite avec la vie estudiantine et le commencement de cette décennie de la vingtaine. Les premières fois se succèdent : Béguins, dragues, relations (fortuites ou solides). « Pour nous la faire courte, en comparaison avec d’autres, je n’ai pas eu des difficultés pour m’accomplir comme je peux. J’ai réussi sans pour autant être « Out » publiquement ou devant la famille. Ça Allait… ». Dit-il.

Etre Queer, c’est aussi se construire tout en se préservant, c’est se façonner au fil des années en se créant son microcosme, ses propres liens, une société dans la société : elle peut-être épanouissante, intense, glissante. C’est de se créer également une dimension communautaire. Pour S*, les prémices d’une existence Queer ordinaire se dessinent tôt et dissimulent certaines fragilités mentales… déjà bien ancrée depuis l’adolescence, période ingrate par excellence.

Environnement propice

 « Je souffre d’anxiété sociale et de troubles de l’humeur, liées à une constante peur (consciente ou inconsciente).  On passe par des phases de lassitude, de stress, et de dépression en continu. A la base, le malaise était en permanence existant. Le contexte renforce ces troubles». C’est ainsi qu’il s’auto-diagnostique. Sasha* met des mots sur des maux : Des peines qui se diluent dans des moments profonds et récurrents de solitude. Des vertiges creux à combler, et ce, en se créant des échappatoires ponctuels.

Festoyer souvent, sortir, et participer à des festivals de musiques électroniques font partie des divertissements plaisants à faire et à refaire, chaque semaine, souvent au fil des jours… L’entourage incite Sasha* à vivre comme tous les jeunes (Queers ou pas). 

Curiosité, découvertes, soif de rencontres et de fêtes fusionnaient… Un mode de vie festif prend progressivement de la place. Il s’agit là d’une manière, sans doute inconsciente, d’esquiver solitude et dépression… jusqu’aux premières prises d’Ecstasy, occasionnelles, puis fréquentes et aux sensations éphémères plaisantent que ces pilules procurent. Il commente : « Pour quelqu’un de dépressif, s’il touche à ces substances, il se sent comme soulagé, équilibré, libéré. Cela procure pendant un lapse de temps un sentiment de flottement agréable. Et d’une substance à une autre, les sensations changent, stimulent autrement… jusqu’à la découverte de la Cocaïne ».  

Cet addictif blanc est considéré comme plus subtile à consommer… mais plus couteux. Les consommateurs peuvent se la procurer… S’ils ont les moyens financièrement. « La personne consommatrice a généralement un bon statut socio-économique : Si elle travaille, elle doit pouvoir se la permettre. Pareil pour l’Ecstasy ou les autres drogues synthétiques : quand le/La consommateur.ice travaille quotidiennement, chaque jour, chaque semaine, ce n’est pas évident d’en prendre souvent et en continu. Le corps ne pourra pas supporter. Il faut en effet, reprendre ses forces après chaque consommation. C’est ce qu’on appelle « La descente ». Raconte S. Une descente souvent difficile à supporter. La consommation de la blanche diffère des autres : elle est plus addictive.

 Parallèlement, la dépense financière dans l’alcool se fait de moins en moins : alcool et drogues ne font pas bon ménage. S. remarque : « Au fil des années, j’en vois plus des gens qui consomment des drogues diverses et ce, de plus en plus … et d’autres qui sombraient pire que moi. C’est très difficile de garder le contrôle ». L’addiction finit par prendre le dessus et un sentiment de manque constant finit par persister.

Spirale infernale

La lucidité de nos jours, permet à S. de commenter avec beaucoup de recul cet état addictif : « On ne contrôle jamais une drogue, c’est la substance qui nous contrôle. C’est un mensonge que de penser le contraire». Quand une personne « Addict » se retrouve entraînée, elle voit des consommateurs partout… car c’est également un sentiment d’appartenance à une communauté consommatrice qui se crée, persiste et rassure. Un constat basé sur des faits réels confirmés : « Même sur les applications de rencontres, des gens ont des pseudonymes de noms de drogues diverses… On est comme enveloppé ou envahi : Au fil du temps, on ne voit que cela, et on ne pense qu’autour de ces stupéfiants chimiques consommables. Personnellement, je ne connais pas de personnes Queer n’ayant pas touché à des drogues ou n’ont pas eu au moins l’occasion d’y toucher ». 

« Queer life » et festivités vont de pair avec le monde de la nuit et ses dérives, environnement propice à la consommation, en général. Une consommation qui reste plus accentuée chez les personnes Queer, que dans des cercles « Straight », selon Sasha. Entre état mental vacillant, prises périodiques d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et prises constantes de substances… Les excès atteignent leur paroxysme.

Jusqu’à la désinhibition

Comme partout ailleurs dans le monde, et plus spécifiquement au sein de la communauté Queer / Gays, le « Chemsex » ou la consommation de la drogue pendant les relations sexuelles surgit aussi… Et il n’y échappe pas. Sasha associe le « Chemsex » à la désinhibition totale, ou le fait d’atteindre un point culminant. 

Deux expériences regrettables de « Chemsex » l’ont marqué. Le but recherché derrière cette pratique ? Augmentation de la libido, du plaisir, de l’endurance. Toujours plus de sensationnel, d’intensité.  « D’habitude, je prenais des drogues en soirées ou dans des festivals. Il n’empêche que je l’ai fait deux fois ». Se rappelle – il amèrement. Cette pratique est de plus en plus répandue. Principalement ancrée dans la communauté gay, elle intrigue autant qu’elle inquiète. L’usage de cette pratique sous influence se fait, généralement, sans protection, ce qui expose des personnes à un haut risque d’IST ou VIH. « Et j’en connais qui ont contracté le VIH des suites de pratiques sexuelles non – protégées, dû au « Chemsex »… On ne peut se sentir que mal après jusqu’à en pleurer ». Précise –il en expliquant : « Peut – être que le fait de ne pas s’aimer assez dans la vie ou de ne pas s’aimer soi-même conduit à la désinhibition. Au sein de la communauté Queer, on a des règles vicieuses liées aux corps, selon moi, ce qui accentue cette curiosité de s’adonner à des expériences physiques plus poussées».  

La consommation excessive a provoqué un malaise grave chez Sasha*, étape alarmante pour lui. C’était dû aux effets secondaires de la cocaïne. «Ce jour-là, je n’avais pas mangé, j’ai consommé le ventre vide : il s’agissait d’une chute de glycémie brutale… après être resté éveillé plus de 35h. J’ai arrêté de consommer durant 3 semaines des suites de ce malaise… Ensuite rebelote ! »

Amortir les dégâts … et arrêter ?

Vouloir arrêter s’est présenté comme une prise de conscience. Les essais se succèdent. Se mettre au sport ? En vain. Se fier à son psychiatre / addictologue ? C’est à priori le plus rédempteur : Un usage des stabilisateurs d’humeur est prescrit, les séances passent… jusqu’à ce que son propre psy lui propose de consulter un autre spécialiste. « Je l’ai vécu comme un abandon … c’était très dur pour moi à encaisser. Je n’en ai plus vu aucun depuis ». Commentait-il. La consommation reprend mais d’une manière plus organisée avec l’envie pressante pour S. d’arrêter… Deux autres raisons principales qui le poussent urgemment à freiner ? Son argent qui s’amenuise et son rendement au travail prenait un coup. S. gagne pourtant bien sa vie, et s’il l’a gagnait mieux, cela aurait pu être fatal pour lui. 

 Arrêter s’avère être plus complexe. Il se confie : « De nos jours, je n’ai pas complètement arrêté d’en prendre mais j’ai surtout changé de ville, de cadre et donc d’entourage. Au revoir Tunis ! Retour à ma ville d’origine, aux sources. Me séparer pourtant de mes ami.es proches est douloureux, mais il le faut. Tout un mode de vie, des loisirs ordinaires, des relations peuvent accélérer la consommation d’où le besoin pressant de tout quitter pour espérer arrêter. En Tunisie, on n’a pas accès aux soins nécessaires pour lutter contre l’addiction, et encore moins de centres de désintoxication, ou de spécialistes compétents. Ce qui est désastreux ».  

Résigné, S. dit faire le maximum pour s’en sortir en Tunisie … selon les issues disponibles. Son comportement reste addictif et en s’isolant, cela peut, potentiellement lui être d’une grande aide. Il a actuellement arrêté les médicaments, et souffre de troubles du sommeil. S. est dans l’auto-maîtrise et cherche à dénicher des opportunités de travail intéressantes sous d’autres cieux. 

En conclusion, selon lui, toute personne Queer devrait avoir le droit et la possibilité de quitter le pays facilement s’il en a envie, surtout, après un vécu aussi lourd ou un désespoir cuisant. Avoir ce droit primaire de se sentir bien dans sa peau, en phase avec soi-même, car en évoluant dans un environnement sain, la drogue ne se serait pas présentée. Il dit : « Je dois aussi parvenir à affronter cette peur : celle qui en cas d’arrêt totale de consommation me plongerait dans la dépression encore plus, au point où il ne serait plus possible de m’en sortir ou d’avoir la force de faire face à d’autres soucis de la vie. Pour l’instant c’est une fuite constante ! »  

 L’addiction ou la consommation excessive reste un non-dit, tabou dans notre société. Un fléau négligé qui ronge de nombreux consommateurs livrés à eux – même. 

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