©Photo: Mohamed, ©Design: Boshra Jallali

« Le courage d’être soi »

Mohamed, 39 ans, He/She/They : Militant.e

 

Par Haithem Haouel

Sa personnalité joviale et son sens de l’accueil suscite l’intérêt mais incite surtout à le connaître et à en savoir plus sur son récit de vie en dents de scie. Mohamed s’exprime sans filtre sur « sa fameuse sortie de placard ». Le militant de 39 ans choisit de nous partager ce pan de sa vie doux-amer.

« Aucun souci à ce qu’on m’appelle ou me présente par tous les pronoms que vous voulez. (Sourire). » L’invitation est ouverte pour une conversation non-genrée et spontanée. Cet échange, à la fois douloureux mais nécessaire, surgit de fil en aiguille, et revient sur une parcelle de vie racontée, si courte mais tellement broyée. Tout commence aux Emirats Arabes Unies…   

Au commencement, les balbutiements …

« On ne peut pas dire que j’ai eu une enfance ou une adolescence malheureuse. J’ai grandi dans un cocon familial aimant, aimé et entouré, en premier lieu, de mes frères et sœurs et… surtout de mes parents ». Se rappelle Mohamed. Il souligne une existence juvénile confortable, qui ne pouvait en aucun cas basculé … et pourtant. 

Dans une époque très peu connectée, et durant laquelle Internet n’avait pas autant de place que maintenant, les rencontres fortuites ou solides se tissaient plus spontanément et allaient de pair avec découverte de soi et de sa sexualité. C’était bien avant l’avènement des années 2000 et leurs bouleversements. Mohamed n’hésite donc pas à 16 ans seulement à dévoiler à ses parents son attirance physique pour les hommes… Une confession aussitôt essuyée par un seul revers. « Sans doute, une forme de déni de leur part ». Commente-t-il en paraphrasant leur réaction : « Ce n’est sans doute qu’une mauvaise passe, une période de découverte éphémère. Ça passera ! M’ont-t-il dit ». C’était son tout premier « Coming Out » et sans doute le moins houleux. Mohamed est loin de se douter que le pire restait à venir…

Orages à l’horizon …

En effet, il l’ignorait peut-être au tout départ, mais cette révélation primaire venait d’ébranler sa vie indéfiniment. A juste 17 ans, il a déménagé seul à Alexandrie pour poursuivre

 avec un jeune homme qui s’est avéré être un flic, et qui traquait les personnes Queer et gays en ligne ». Se remémore-t-il.

Une mise en contexte s’impose pour mieux comprendre la vie Queer d’il y’a 22 ans au Caire…

Grande capitale cosmopolite, la communauté Queer égyptienne vivait une double vie communautaire dissimulée certes, mais épanouie. Des lieux de rencontres, un jargon Queer, des fêtes pour la plupart privées. Les sites de rencontres facilitaient les prises de rendez-vous et les Chatroom et autres sites faisaient fureur. « Ça remonte tellement et ça ne me rajeunit pas… Surtout ! ». (Sourire). Une effervescence qui donne lieu occasionnellement à des scandales, qui laissent jaser, et ébranlent le peuple égyptien, plus d’une fois. Il affirme : « Mon arrestation s’est faite si rapidement et de cette manière à cause des bruits de polichinelle qui circulaient autour de l’homosexualité présumée de l’un des fils de l’ancien président Hosni Moubarak et du neveu de l’un des vice ministres de l’intérieur à cette époque. Ce dernier, qui s’est retrouvé « outé » publiquement ». Des qu’en dira-t-on qui pousse le pouvoir autre fois en place, d’user de méthodes crapuleuses et d’arrestations arbitraires pour réprimer la communauté et dissiper ainsi les ragots.

Nous sommes aussi au début des années 2000, et Mohamed rappelle également l’affaire du « Queen Boat », qui incitait à cette époque les autorités à endurcir la traque sans merci des personnes gays ou soupçonné d’être Gays ou Queer. La tension planait dans un marasme d’histoires qui se créaient pour détourner l’opinion publique. Pendant un an et demi, les autorités policières étaient mobilisées pour traquer la communauté LGBTQI++ et M. était parmi des dizaines à se faire arrêter. Une épreuve qui transformera ses parents en geôliers. Nous sommes en 2002, M, sort de prison… toujours pas majeur.  

L’enfer c’est chez soi

« Mes parents m’ont mené la vie dure après ma sortie de prison et ne pensaient qu’à me faire subir une thérapie de conversion ». Se souvient –t-il, avec beaucoup de lucidité et de recul. L’enfer c’est chez soi. Les frères et sœurs se retrouvent incapables totalement de l’aider. Mohamed* ; étant le plus âgé, il devait se débrouiller seul. Psychologiquement atteint, il aspirait toujours à un quotidien calme, malgré la maltraitance parentale, surtout celle de sa mère et raconte : «Elle est allée jusqu’à m’empêcher de manger, m’isoler, me priver de nourriture et bien plus tard, jusqu’à appeler mes amis pour me « Outé » et pour les éloigner de moi. C’était la tyrannie incarnée ! C’est elle qui m’exhortait principalement à « guérir »».

 Face à la maltraitance maternelle, le père était indifférent, il observait toute cette maltraitance sans réagir ni intervenir.

En atteignant les 22 ans, Mohamed vivait littéralement sous des menaces de mort dans son propre foyer familial. Fuir était devenu une histoire de vie ou de mort pour lui.

Et sonna l’heure du départ

La violence inouïe ressentie de la part des parents était inégalable. Il fallait partir, mais où ? La famine même se faisait sentir pendant des mois. Et un jour Mohamed prend le minimum d’affaires avec lui, quitte le domicile, arrête un taxi sans connaître sa destination … pour finalement trouver refuge chez un ami « straight » qui l’héberge pendant quelque temps et avec qui il était « Out ».

Mohamed ajoute : « Quelque temps après mon départ, mon père me rappelle pour avoir de mes nouvelles, tenter de me raisonner. Il me posait des questions sur mon devenir, si j’étais travailleur de sexe ou pas pour gagner ma vie… etc Il tenait à ce que je revienne sous condition de subir une thérapie de conversion, ou de me cacher… mais pour moi, il était hors de question que je subisse ce sévisse où que je fasse semblant d’être quelqu’un d’autre. Ma mère, elle, ne voulait toujours pas de moi sans « changement ». Comme si c’était possible de le faire. C’est resté donc avec eux – deux au point mort ! Ils se sont pris la tête entre eux juste après et au fil du temps… toujours dans sa folie furieuse, ma mère commençait à ordonner à mes frères et sœurs de couper le contact avec moi. Ce qui ne s’est pas fait ! Nous sommes d’ailleurs restées unies ». 

Mohamed a désormais 39 ans, depuis ce qu’il appelle son 3ème « Coming Out », il s’est frayé un chemin en solo, s’est formé, a fini des études en médecine et s’est adonné  au secteur de l’informatique, de l’administration, tout en alternant études et travail, et en enseignant l’arabe et l’allemand aux étrangers. Le domaine de l’informatique et quelques projets de la société civile lui ont permis de vivre décemment.

Le post envol

Après la révolution de 2011, la relation avec ses parents s’est tassée… Temporairement et ce, après plus de 5 ans de séparation. « La révolution a permis aux gens de discuter ou au moins de prendre conscience. D’accepter et de réaliser un brin soit peu la diversité sociale. D’inclure quelques valeurs nouvelles : La tolérance, Le sens du débat, la diversité, l’inclusion. Un espoir a commencé à planer… » Commente-il cette époque.

 Jusqu’ à l’énième drame qui changera à jamais la vie de M* : l’affaire de  drapeaux LGBTQI++ brandit dans un concert de « Mashrou3 Leila » en Egypte. Il se remémore : « Dans cette affaire, Je m’étais exprimé dans un post qui a retenti au plus haute sphère politique et auprès des autorités sécuritaires et policières. C’était devenu pour moi un danger de rentrer. J’étais bloqué au Liban pendant deux  mois avant de finalement demander l’asile en France le premier décembre 2017. Quitter le pays était devenu une question de survie. Malgré moi, il fallait le faire. Je suis réfugié politique depuis».  

Répondre à la question : « Si le Caire lui manque ? » il répond … difficilement. « Au départ, j’étais sujette à des crises de nostalgie grave. Mais j’ai fini par accepter que j’avais la meilleure des vies que je voulais avoir maintenant, loin de tout tracas, problèmes, pression … j’ai respiré, loin du pays. Quand j’ai pris de la distance, j’ai réalisé à quel point je vivais en danger. Horrible ! Inacceptable. Tout cela est désormais derrière moi. J’ai changé ma vie. Je l’ai prise en main et …je ne reviendrai pas.  Si j’ai dû partir, c’est clairement pour le mieux et si, je reviens je suis dans le collimateur de la justice… Je ne peux toujours pas choisir où vivre. Je respire, je suis bien, j’ai une vie stable, ordinaire. C’est suffisant pour moi : je n’ai pas besoin de vie en rose, colorée, ou parfaite ». Réplique Mohamed, résigné.  

Il opte pour le bonheur, la paix, malgré les revers et les aléas. Esquivant la pression de la société, la famille ou vivre caché …. Tout sauf être une personne autre ou vivre un rôle. Et il conclut : « Chaque « Coming out » est unique. Qui suis- je pour donner des conseils ? » 

 

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