©Photo: Weema, ©Design: Boshra Jallali

« S’affranchir face aux parents  »

Weema (He / They), chef de projet et activiste

par Haithem Haouel

Pour toute personne Queer, le Coming out est un accomplissement, un affranchissement. Weema*, 31 ans, opte pour le Coming Out et se trace une existence non sans conséquences, mais assurément sans filtres. En effet, face à sa famille, il choisit un jour, de prendre les rênes de sa propre vie … pour le meilleur et pour le pire.

« Se dévoiler tel que je suis à la famille, et spécialement à mes parents était devenu crucial. Une urgence même : celle de se soulager d’un poids qui devenait écrasant. C’était le faire, dans une période critique, peu importe les conséquences. C’était le dire haut et fort ou se taire à jamais voire pire … ». Relate Weema, sourire Béat et apaisé dans son havre de paix / Son lieu de travail, qu’il choisit pour nous rencontrer. Ces dernières années, il se consacre entièrement à la cause Queer, à travers « Mawjoudin – We Exist » en étant chef de projets. Une vie, à Tunis, qui finit par concilier son existence Queer, sa nature même, ses valeurs, son engagement et… son gagne- pain. Une jeune vie, qu’il mène avec ses aléas mais qu’il n’a plus besoin de cacher … surtout à ses sœurs et ses parents : Son tout. « Sans oublier, mon chien et mon chat. Mes enfants ». (Rire). Un semblant d’équilibre atteint… non sans encombre.

Militantisme embryonnaire 2.0

Prôner la cause Queer a fait et fait toujours partie intégrante de l’existence de Weema. Quelques années auparavant, l’engagement s’est fait spontanément, en étant volontaire dans des associations tunisiennes locales (Queer ou pas). Progressivement, son militantisme en ligne prend le dessus et … devient plus récurrent, de par la fréquence des publications et plus visible, de par leurs portées. Les interactions qu’elles génèrent prenaient vie. L’engagement 2.0, mené en solo, porte définitivement ses fruits. Il se souvient : «Cette activité s’est très rapidement répandue en dehors du pays et parvenait à l’étranger. La magie du net qui a sans doute opéré ». Se rappelle –t-il, avant de préciser : « Je postais des informations liée à la cause Queer / LGBTQI++. J’éclairais les internautes sur les amalgames via la publication de vidéos, d’informations diverses, d’images, des opérations « Infox ». Je me devais de contrer l’homophobie ambiante, la violence en ligne, d’évoquer orientations sexuelles, identités du genre, terminaisons, écriture inclusive et une pléiade de sujets à caractère Queer / LGBTQI++. Et ces mêmes données ouvraient le débat. Je me sentais libre et « Safe » de le faire car toutes les réactions violentes que je pouvais générer ou subir ne dépassaient pas l’écran ». (Sourire) Cette violence homophobe, sexiste, raciste, se faisait en effet, beaucoup sentir : L’urgence d’agir ou d’essayer d’y mettre un terme, au moins, en ligne s’est fait spontanément à travers ses propres réseaux sociaux… précisément « Facebook », au tout début. 

Une forme de lutte s’est installée au quotidien. Elle mute aussitôt, en devenant plus concrète, sur terrain et en intégrant « Mawjoudin – We exist ». Weema ne manque pas de rappeler cet instant « Tilt » marquant et se souvient : «Mon tout premier échange avec un.e membre dans « Mawjoudin » a suffi pour que je me sente dans mon élément. Je n’avais pas connu d’autres lieux, ni d’autres contextes (En Tunisie du moins), dans lequel on m’avait interrogé, par exemple, sur mon pronom. Ce jour-là, ça s’est fait instinctivement ! Et pour moi, cette question signifiait beaucoup car je sortais, entre autres, d’une expérience courte mais difficile vécue dans une Organisation Internationale et qui m’avait « Outé », m’a mis en danger. La transition pour « Mawjoudin » s’est faite naturellement et d’une manière « Safe » surtout ». Cite–il. Il était loin de se douter qu’une collision entre activisme, vie personnelle / professionnelle se profilait à l’horizon.

Chasser les non- dits

Dissimuler son pronom, faire semblant d’être quelqu’un d’autre, expliquer, justifier, ou pire se cacher … épuise peu à peu Weema. Intégrer « Mawjoudin » l’aide à apaiser le poids d’une existence dite et vue comme « singulière », « Distinguée » ou « Non – Normative ». Il est à rappeler qu’à ce stade, pour lui, être lui-même s’est fait déjà ponctuellement, différemment ou nonchalamment avec d’autres. A ce stade, dépasser entièrement cette étape et éradiquer tout débat autour du « Qui suis-je ? » avec son entourage est devenu … nécessaire.  

Avec les ami.es, connaissances, ou partenaires de travail, il s’était lâché. Au lycée, Weema teste la réaction des gens autour de lui, tâte le terrain … avant de le dire. C’est, selon lui, en soi une forme de Coming Out effectuée. Il cite : « Il y’en avait qui sont parti.es, d‘autres qui sont resté.es, d’autres qui me disent : « Ce n’est pas grave, mais on n’aimerait pas en savoir davantage, autant être discret et le rester … etc etc ».

 Les activités en ligne éveillaient pourtant les questionnements et les doutes. Pour la famille, en revanche, le Coming out s’est fait « étape par étape ». Avec ses trois sœurs, ça allait, y compris avec l’aînée… à qui tout a été dit lors d’une dispute. Weema se remémore : « Ma grande sœur qui me faisait un peu peur, passait son temps à me critiquer, à me faire des remarques sur mon style de vie, ma manière de m’habiller. Elle se posait incessamment des questions, jusqu’à la prise de tête… qui nous a finalement unis.  Après deux jours de silence radio, elle est revenue vers moi, dans une tentative de réconciliation, m’a abordé en évoquant ma couleur de cheveux, ce que j’aimerais éventuellement porté etc etc… Et on s’est finalement enlacées. C’était émouvant ! Je dis avec du recul qu’elle était juste protectrice et avait peur pour ses sœurs, surtout pour moi. Une autre de mes sœurs, plus jeune, était déjà au courant… depuis toujours ». Seulement, se dévoiler à sa fratrie, n’est pas comme le faire à ses parents. Malgré la peur extrême qu’ils sachent un jour qui il était vraiment, Weema s’arme un jour du courage nécessaire et… saute le pas. 

Franchir l’inimaginable

Oui : le faire, trotte de plus en plus dans sa tête. Tout avouer aux parents bouillonnait au fil du temps. Weema tourne la question dans tous les sens, réfléchit aux éventualités diverses, profite du confinement et de la pandémie pour y penser seul encore et encore, se remettre en question. Il va jusqu’à penser à des manières de se protéger et ce, en fixant des alternatives, si jamais cette révélation fracasserait sa vie, le mettrait en danger. « J’ai même pensé à partir juste après. A fuir, si jamais ça foire totalement ! ». Se rappelle-il et commente : « Ce coming Out aux parents était la décision d’une vie, et elle pouvait même chambouler la mienne… pour le meilleur et pour le pire. J’ai été tétanisé et malgré cela, je l’ai fait». Il était inacceptable pour lui que ses parents le sachent à travers d’autres. Qu’on le leur répète. Qu’ils finissent par le savoir … et non pas à travers lui. 

Prendre cette décision est accéléré surtout par une grave dépression qui a fini par le fragiliser au point où la présence de ses parents, leur réconfort, leur soutien sont devenues plus que vitaux. Weema tente de mettre des mots sur ce malaise existentiel sans précédent : « Je n’arrêtais pas de dire et de répéter à mon psy, que je veux le leur dire et que j’ai besoin d’eux dans ma vie. Ce dernier était sceptique. Réticent. Il ne voulait pas. La détresse battait son plein. J’ai fini par faire la liste des pour et des contre ! J’ai finalement tenu bon à le faire malgré les recommandations, les avertissements de mon thérapeute, et la désapprobation de mes sœurs… Ma vie prenait les allures d’une impasse : j’ai donc été déterminé à le faire. Le jour J était arrivé. J’ai évidemment, prévenu les parents à l’avance. Je leur ai dit que j’avais quelque chose de très important à leur dire et que tous les deux se devaient d’être présents. Ils avaient eu très peurs sur le coup ! J’avais même demandé à un ami proche de m’attendre dans un café pas loin de chez moi. Si réaction violente il y’a, il sera le premier à m’aider. Le moment fatidique était venu. C’était il y’a deux ans déjà ».

Ce premier instant du reste de ta vie

Cet instant était digne d’une scène de film. Un face à face, avec les deux parents autour d’une table. Cœur battant, tremblant… hésitant sur le coup. Weema se présente face à son père et à sa mère… eux aussi, terriblement inquiets. Pensant au pire, sa maman finit par lui dire en premier lieu : « On finira par trouver une solution… peu importe le problème ! ». Il suffisait d’une phrase aussi courte mais rassurante et réconfortante…pour qu’il balance tout, en pensant que cet instant d’affection avec eux deux allait probablement être… le dernier. « Ne m’interrompez pas ! Leur disais-je, en insistant de me laisser finir ce que j’ai à dire et de me poser les questions qu’ils veulent après. En précisant que j’étais déjà d’avance, prêt à encaisser n’importe quelle réaction de leur part… Ensuite, silence étrange de ma part de quelques secondes et j’enchaine : « je ne suis pas attiré par les hommes », tout en expliquant et en justifiant mon malaise, et ma dépression, comme je peux avec les mots qui me venaient à l’esprit, et qui se présentaient comme des bouées de sauvetage durant tout cet instant T, un instant qui me paraissait infini.(sourire). Je leur précise que j’avais besoin de leur présence à mes côtés et de leur soutien etc etc». 

Avec du recul, Weema retrace cet échange avec beaucoup de lucidité et Poursuit : « A un moment, il y’a ma maman qui répond : « Je ne comprends rien à ce que tu dis ! ». Elle cherche encore des explications et trébuche dans des questions et des bribes de mots énoncées spontanément. Mon papa, lui, garde le silence ». Face à ces deux réactions distinctes, Weema se noyait dans une logorrhée d’expressions inachevées, souvent incompréhensibles. La tension est à son comble ! Avec Assurance, il réplique : « Et épargnez – moi l’argument religieux, le psychologue que je vois déjà, les médecins également parce que je ne suis pas malade. Je ne changerai pas, sachez –le, car ce n’est pas possible… J’ai pu enchainer en leur énumérant à haute voix tous ces arguments. C’était une manière pour moi, d’anticiper leur réaction et de se donner encore plus de crédibilité en citant ma consultation auprès d’un Imam et mes innombrables recherches autour du sujet. ». Weema n’a jamais été aussi clair avec ses parents et nonchalamment, leur dit que beaucoup de gens de son entourage l’acceptent et le savent. Son père répond de suite, avec une pointe de crainte mais en gardant son calme : « Qu’attends – tu de nous au juste ? Et que veux – tu dire par « Les gens le savent » ? ». Weema ne tarde pas à saisir que pour ses parents, c’est davantage le « Qu’en dira-t-on » des gens qui dérange, beaucoup plus que le fait d’être Queer / Gay. 

Il a aussitôt avoué que toutes ses sœurs étaient déjà au courant. Et La mère qui demande pour quelle raison il a attendu tout ce temps pour en parler ouvertement avec eux. « Qu’est ce qui te faisait peur ? » Me disait – elle. J’ai dû citer que je travaillais pour une association Queer et que je suis souvent en contact avec de nombreuses personnes au courant. Que cela risquait d’être su, un jour et que ça tournait souvent mal pour les personnes Queer qui choisissent de faire leur « Coming Out » … etc Ma mère était étonnée voire choquée que les lois soient aussi liberticides à notre encontre dans ce pays, que des parents abandonnaient leurs enfants s’il.lles sont Queer / LGBTQI++, et je m’étais trouvé à expliquer et à leur révéler des informations nous concernant qu’ils ignoraient totalement. Ma mère trouvait sidérant que des lois entières soient mises en place pour nous nuire. Mes parents n’ont cessé d’en savoir plus sur notre existence depuis cette révélation. Je me suis rendu compte à quel point ils ignoraient tout … Ils étaient réceptifs et voulaient surtout se renseigner. Ce qui est en soi une aubaine ! Malgré ce regard de pitié, qu’ils avaient eu sur le coup. Et enfin, soulagement, et effondrement en larmes et émotions débordantes. Mon père en voulait même en savoir plus sur celle qui était à l’origine de ma dépression amoureuse. (rires) ». Se souvient-il avec une pointe d’émotion dans la voix. 

La petite famille qui l’accepte désormais continue de se renseigner, de se former et de s’informer sur l’existence Queer / LGBTQI+ et davantage sur la vie privée de Weema. La relation parents / enfant s’est soudée. Cette révélation a complètement guéri W. Il est depuis, en phase avec lui-même et va de l’avant. « Après ma famille, le déluge ! ». Arbore-t-il fièrement, en laissant un conseil à tout.es / Ce.lles qui se sentent dans le besoin de faire leur Coming Out : « Ne prenez pas ce parcours personnel comme exemple. Ayez conscience de vos privilèges. Prenez votre temps pour le faire. Ne le faites pas si vous n’en avez pas envie. Faites très attention surtout ».                     

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *