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Un parcours et des vies

Yahia Zaidi, militant Queer Algérien

Par Haithem Haouel

 

Yahia Zaidi s’est laissé happer par l’activisme et ne cesse d’affiner son engagement sur tous les fronts depuis une vingtaine d’années. Natif algérien, tout commence pour lui en Algérie. Impossible de rester indifférent à sa fougue pour une vie juste, truffée de valeurs humaines, au service de la défense des droits humains des personnes Queer et LGBTQI+.

A l’entendre, c’est comme s’il était né pour s’engager. Pour Yahia, vivre est intrinsèquement lié à sa soif pour le militantisme, spécialement au profit de la défense des droits humains des personnes LGBTQI+. Assister, soutenir et subvenir aux besoins d’une communauté vulnérable l’a rapidement tenté… à une époque où il menait un parcours estudiantin ordinaire en architecture à Alger. 

Nous sommes en 2007 et son envie de s’engager dans la prévention du VIH Sida s’est fait aussitôt sentir. 

« J’offrais mon aide spécialement à cette frange sociale exposée d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. Les gays à Alger étaient naturellement concernés. Une action de cette ampleur ne pouvait que me toucher »

Des débuts menés avec ferveur qui traduisent un militantisme strictement lié à l’intime… S’accomplir, en grande partie sur le plan personnel, a dû commencer par cette étape. Yahia sortait d’un Coming Out forcé et violent à 17 ans et tachait de se retrouver avec quelques ami.es. La vie communautaire Queer bouillonnait en toute discrétion au pays, tout juste sorti de la décennie noire et ce, dans différents lieux. « Tant que la communauté n’attirait pas l’attention, vivait en cachette, elle pouvait vivre. On avait la paix si on se contentait de raser les murs », commente le militant.  

Quelque temps après, son engagement commençait à prendre de l’ampleur… en ligne. Le forum « Abu Nawas » rassemblait de nombreux profils intéressants et étoffait son réseau de connaissances et ce, simultanément au moment même où il gravait les échelons dans sa lutte contre le VIH Sida. « Abu Nawas » a connu de nombreux bouleversements avant de s’éteindre … Mais momentanément.

 Voir s’évaporer « Abu Nawas » était inenvisageable pour Yahia ainsi que pour d’innombrables activistes engagés et actifs sur cet espace virtuel.  Une renaissance s’est faite aussitôt grâce à la mobilisation d’un groupe de personnes engagées et très actif sur le forum Gays et Lesbiennes Algériens (GLA), qui ont donné une seconde vie au groupe Abu Nawas, en échafaudant des compagnes de photos, des vidéos en ligne et en s’exprimant lors du TenTen,  la journée national LGBTQI+ en Algérie. La force d’ « Abu Nawas », était son réseau. Sa représentativité, notamment ethnique, était unique. L’expérience fut stimulante à l’aube de l’émergence des réseaux sociaux. 

La percée de Yahia Zaidi pour la prévention du VIH MST Sida se faisait en étroite collaboration avec au moins 17 ministères algériens, représentants de l’Etat et de la société civile. Beaucoup étaient membres du conseil de lutte contre le sida. Son travail préventif s’étalait dans le cadre d’un projet régional qui rassemblait l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Liban. Yahia bénéficie d’un renforcement de capacité  au sein de l’ATL MST Sida – section Tunis, qui l’accueille dans le cadre d’échanges et de partage d’expériences.

Se consacrer à la prévention et à la lutte contre VIH était une période fructueuse pour le militant. Il s’en souvient : «Je continue d’appliquer tous les principes appris à cette époque, jusqu’à aujourd’hui. J’ai appris à trier les projets particulièrement ceux qui viennent des partenaires européens, à bien mesurer si c’est adapté à notre contexte national ou régional et à ne pas les exploiter nonchalamment. Je pense qu’il ne faut pas cesser d’accomplir d’une manière réfléchie. C’est ainsi que nous pouvons mieux mesurer les dangers, que nous arriverons à nous protéger. Tous mes mécanismes de défenses ont été renforcés. Après cette période, je sais faire ce que je fais le mieux aujourd’hui, à savoir, défendre les droits humains des personnes des régions MENA, Afrique et élargir les horizons pour le global south. »

Son parcours qui s’annonce trépidant s’est avéré également vertigineux. Yahia Zaidi écumait les instances, donnait des cours à l’école des juges, visitait quelques prisons, procédait à des actions avec le ministère de la justice et faisait des accompagnements médicaux pour les personnes vivant avec le VIH, ou les populations vulnérables exposées. 

L’aventure était devenue houleuse quand à un moment, le collectif engagé dont il faisait partie, a été taxé de pro-sionisme et USA et que ses membres ont été pris pour cibles. Une propagande menée par un média pro-islamiste. Menaces de mort, harcèlement, insécurité ont plané. « Malgré tout, nous nous sommes repliés avant de reprendre la lutte mais silencieusement. Cette période était tellement difficile». Très peu de temps après, Zaidi trouve refuge en Belgique. Une 2ème vie s’est offerte à lui, avec ses petites victoires et ses travers. 

La lutte sous d’autres cieux

Une fois en Belgique, Yahia Zaidi décroche un poste d’assistant social et s’entretient en grande partie avec les demandeur.euses d’asile, venu.es de nombreux pays. Un travail qui s’est fait en contournant la barrière de la langue, en garantissant un suivi social, médical, psychologique, juridique, administratif en fournissant matériaux et aliments à tout.es celle.eux dans le besoin. Des services qui aboutissaient au final à une insertion sociale complète des personnes prises en charge et qui se faisait sous la supervision du pays hôte. « On a ramené de nombreuses personnes Trans et gays et garantit des transitions. On s’est focalisé sur les populations vulnérables au début telles que les personnes âgées avec maladie chronique, maman seules.., puis on a réussi à ce que le gouvernement fédéral intègre les personnes  de la communauté et à les rendre prioritaires. On a même fait du regroupement familial, ce qui n’était pas possible à faire dans d’autres pays de la réinstallations tel qu’en France, en Norvège ou autres. En Belgique, une liberté d’agir était plus large. ». Déclare l’activiste.

Yahia Zaidi était membre de la maison Arc- en -Ciel (la federation Bruxelloise des associations LGBTI) à Bruxelles, qui offrait des services aux demandeur.ses d’asile Queer. En partenariat avec la Pride et l’agence fédérale de l’accueil des demandeurs d’asile FedAsil (Il faisait en sorte de leur assurer un endroit « Safe » dans lequel iels pouvaient tout.es se retrouver. Entre demandeur.ses d’asile venu.es des quatre coins du monde, iels se retrouvaient tou.tes le temps d’une journée et s’adonnaient à des activités. Omnya a aussi été co-créé. Une période prolifique pour le militant qui était dans l’action. Il déclare : « On me disait souvent : « Quel est l’intérêt d’être mort en retournant au pays ? Autant être utile à l’extérieur ». Omnya avait aussi pour vocation de fédérer des personnes de la communauté LGBTQI++ qui réprimaient leur identité brisées. L’association s’est adressée aux mamans afin de les rapprocher de leurs enfants LGBTQI+ et organisait des formations. Mais comme très souvent dans la société civile, les problèmes de gestion et de Leadership commencent à surgir… Des guerres d’ego faisaient rage. Zaidi finit par partir. 

Saisir les tournants

« L’une des plus belles étapes de mon parcours, c’est sans doute « Aids Algérie », en premier lieu et « MantiQitna ». C’est à ce moment là où j’ai commencé à agir à l’international et dans la région MENA et ce, malgré les discriminations». Cite-il. Sa mission était de mobiliser toutes les forces vives et engagées du Maghreb et autres. Une cartographie garnie a commencé à voir le jour en 2010 et n’a cessé de se développer, atteignant une vingtaine de groupes d’associations ou de collectifs dans plusieurs pays du sud. Un tissu associatif au-delà des frontières s’est créé et c’est ainsi que Yahia a soutenu la création de nombreuses associations au Maghreb, au soudan. La mission de MantiQitna, c’était de soutenir cette effervescence y compris féministe et intersectionnelle. MantiQitna a vu le jour grâce à Rauda Morcos avec l’aide de 8 autres cofondateurs : une Égyptienne, un jordanien, trois Libanaises, trois Palestiniennes et Yahia Zaidi, à la tête du Maghreb, le seul, au début. « Lors de notre première conférence appelée “QamB MantiQitna”,  seulement 11 maghrébin.ne.s ont participé, en comparaison à une trentaines venu du Mashreq. Un problème de représentativité a plané. De la discrimination a même eu lieu au sein de MantiQitna, mais qui a aussitôt été chassée grâce au renforcement des rangs, et aux Maghrébin.es qui se sont allié.es. pour créer le premier réseau Khomsa qui a donné naissance à Damj et autres groupes». Déclare l’activiste. 

Yahia Zaidi était élu Co-président de ILGA Pan Africaine (2012-2016) pendant son mandat, La fédération africaine morte en 2010 a été raviver via deux conférences régionales organisée en 2014 et 2016, l’association enregistre en Afrique du sud et un bureau ouvert au même pays. Yahia a aussi été élu Secrétaire Général Suppléant de ILGA Monde (2016-2018). Il est actuellement Directeur de Plaidoyer du réseau interconfessionnel mondial GIN-SSOGIE. Il s’est longtemps frayé un chemin depuis son départ de l’Algérie il y’a 15 ans et conclut : « Je ne me permettrais pas de parler de l’Algérie ou de la représenter après toutes ses années-là. Moralement, je n’ai pas la légitimité de le faire. L’idée de rassembler ou d’initier d’autres personnes, de leur faciliter l’accès à des plateformes internationales et régionales, fera partie intégrante de mes actions… toujours. »

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